Printemps 2018. Nous sommes une équipe de 6 amis de Québec qui s’apprêtent, pour la première fois de leur vie, à tirer des canots sur 150 km de lac gelé, au Labrador. À cet instant précis, aucun d’entre nous ne sait si cela fonctionnera. C’est toutefois un passage obligé, car nous nous dirigeons vers le Nunavik, dans le cadre d’une expédition de 1600 km censée nous amener, en 2 mois, au coeur des mythiques monts Torngat.

Partis de Schefferville, nous avons commencé par tirer nos canots sur les grands lacs gelés du Labrador pendant 10 jours, au début du mois de juin. Faire du canot « expérimental » en contexte de camping d’hiver avait un petit quelque chose d’exotique.

Cette randonnée insolite en canot nous permit d’atteindre l’une des plus grandes rivières du Québec – la rivière George – au moment où sa crue était déchainée. La débâcle n’était pas complétée, des ponts de glace obstruaient encore la rivière.

Après être parvenus au village inuit de Kangiqsuallujjuaq, nous avons entrepris de remonter la rivière Korok, qui prend sa source dans les mystérieux monts Torngat. Au moment où nous avons mis les pieds sur la berge de la rivière, nous voyions les dernières plaques de glace se décrocher et partir à la dérive dans le courant, vers l’embouchure de la rivière, dans la baie d’Ungava. Notre timing était idéal. Nous avons eu le champs libre pour remonter la rivière sur 130 km, jusqu’à ce que nous devions changer de cours d’eau: la minuscule rivière Palmer, dont nous n’avons trouvé aucune autre trace de descente moderne documentée. Nous en avons profité pour cartographier la rivière et la partager en libre accès.

La rivière Palmer coule au coeur des monts Torngat et nous amena directement au pied du mont d’Iberville, le plus haut sommet du Québec, qui culmine à 1650 m d’altitude. Après un trek d’approche de 2 jours, nous avons gravit le sommet dans une météo impeccable. Le mont d’Iberville domine les monts Torngat, dont la beauté spectaculaire était notre motivation à entreprendre ce périple singulier. Notre objectif de l’expédition était atteint, mais ce n’était pas la fin encore. Une dernière étape – audacieuse – nous attendait avant de retourner chez nous.

Le point de sortir de l’expédition se trouvait plusieurs centaines de kilomètres au Sud du mont d’Iberville, au village inuit de Nain, sur la côte du Labrador. En retournant sur la rivière Palmer, nous avons pu rejoindre l’océan Atlantique et commencer à pagayer le long de cette côte fantomatique pour 600 km, reconnue comme l’un de endroits au monde les plus difficiles à naviguer. Cette section de l’expédition est parmi les plus téméraires que nous avons faite dans notre vie.

Pendant 3 semaines, nous avons vécu parmi les ours polaires, les iceberg, les falaises vertigineuses de la côte du Labrador, à devoir faire des tours de garde durant la nuit pour éviter que les ours polaires ne s’approchent trop de la tente. Après 65 jours au total, nous avons rejoint le village de Nain, exténués, mais sustentés par ces 1600 km de paysages à couper le souffle, parcourus à force humaine.

Par dessus tout, nous sommes revenus fascinés par les découvertes archéologiques que nous avons faites le long de cette côte hostile. Le territoire de ce littoral est si accidenté que les humains qui y transitent utilisent les mêmes emplacements pour camper depuis des temps immémoriaux. Nous dormions à côté de vieux cercles de tentes et de maisons semi-souterraines bâties il y a des centaines d’années, voire des millénaires. Les vestiges d’habitations inuites, thuléennes et possiblement même dorsétiennes prouvent l’occupation de longue haleine de ce territoire par les autochtones. Des traces archéologiques remontant à plus de 6000 ans furent déjà trouvées dans cette région. Une belle leçon d’humilité pour nous, les « aventuriers » modernes, qui trouvons toujours des excuses pour nous plaindre malgré le confort de nos combinaisons étanches et de nos GPS.

Ce projet nous valu une subvention majeure de la Société géographique royale canadienne, ainsi que la bourse Expédition scientifique AKOR créée par l’Université Laval expressément pour notre projet.

Quelques entrevues sur cette expédition

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